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  • Suissez-vous !

    Il y a deux ans environ, je lisais le livre de Stéphane Hessel qui a fait le buzz médiatique : "Indignez-vous!". J'en garde un mauvais souvenir, un certain malaise m'avait envahi à sa lecture, sans que je puisse intellectuellement lui trouver une réponse.

    Qu'ai-je retenu de ce livre, deux ans après l'avoir lu ? Tout d'abord, le malaise que je ressentais lors de sa lecture s'est estompé. Il s'agit pour son auteur de démontrer en quoi l'indignation que l'on peut éprouver face à l'autorité est bonne, citoyenne, positive. Elle permettrait de construire une meilleur société, une société plus juste, plus humaine. Il est bien certain que le droit de manifester, de s'indigner contre le pouvoir, même régulièrement élu, fait partie entièrement et nécessairement d'une société démocratique. Lorsque Stéphane Hessel fait l'apologie de l'indignation, que fait-il réellement ? La contestation serait le carburant d'une bonne société.

    Mon premier malaise, c'est de me dire que, puisque je n'éprouve pas, la plupart du temps, le besoin de manifester mon mécontentement, de la partager au milieu d'une foule...je ne suis pas un bon citoyen ! Le propos de monsieur Hessel me culpabilise. Je me dis qu'il me manque quelque chose, à chaque fois que je suis différent et seul à penser mes convictions. Car lorsque je ne suis pas d'accord avec les solutions prises par le pouvoir politique, je ne trouve pas de relais autour de moi, ni dans la société pour me conforter dans mes opinions. De fait, je n'ai trouvé pour l'instant que ce blog, pour exprimer mes idées, mes déceptions, ma colère. La manifestation publique et grégaire en occupant les rues avec des revendications souvent idéalistes, irréalistes ou corporatistes  ne m'intéresse pas. Je n'ai pas eu le sentiment, les quelques fois où j'y ai participé, d'accéder à un degré supérieur de citoyenneté. Je n'y ai tout juste trouvé que des propos qui ne résolvent aucun problème, souvent même qui en créent, et surtout qui en invoquant l'avenir avec inquiétude, se posent comme irréprochables et responsables.

    Manifester, c'est extérioriser son inquiétude, son indignation. Toutefois pour moi, manifester implique plus de responsabilité au niveau moral; et non pas moins. Manifester c'est d'abord le constat d'une impossible concertation. Manifester c'est aussi une violence morale.  C'est prendre en otage les autres citoyens non concernés, ou en plein désaccord avec la manifestation, et leur en faire subir les conséquences. Manifester quand on a un travail pour avoir un meilleur salaire, c'est d'abord nier l'existence de chômeurs qui n'ont pas de travail. Manifester pour maintenir un régime spécifique de retraite; c'est d'abord faire payer aux autres citoyens un avantage qu'ils ne possèdent pas. Malheureusement, la plupart des manifestions sont corporatistes, quand il faudrait réclamer la justice et l'égalité.

    Manifester contre un pouvoir est un mal nécessaire car une élection c'est un chèque en blanc. Les élus, une fois au pouvoir peuvent bien faire ce qu'ils veulent. De plus la façon même dont sont organisées les élections, font que l'on vote pour des personnes ou des partis, avec lesquels on ne partage pas les idées. Il est donc bien évident qu'il faut pouvoir exprimer son indignation à propos de sujet précis de gouvernance. Des individus s'indignent contre une décision gouvernementale soutenue majoritairement par la population. Que font les manifestants ? Manifestent ils contre le pouvoir et ses représentants, ou contre une autre partie de la population ? Une minorité peu, avec juste raison manifester contre l'opinion de la majorité. Mais dans quel cas considérer que cette manifestation sert la société, sert la démocratie, alors même qu'elle s'inscrit contre la majorité ? J'y vois simplement, dans cette indignation systématiquement bonne, le mépris le l'opinion commune. 

    Les lois sont faites pour garantir la liberté de tous. Sans lois il ne peut pas y avoir de liberté, ni ordre, ni sécurité, ni paix, ni prospérité. Les lois sont indispensables. Les respecter est nécessaire au bon fonctionnement d'une société. Bien évidemment un respect trop tatillon est néfaste. Si on devait en toute rigueur appliquer toute la loi tout le temps, je crois bien que rien ne fonctionnerait plus. Il y a bien un équilibre entre respect de la loi et transgression. La transgression même de la loi, est une condition première de la liberté dans une société. C'est bien parce que je peux transgresser la loi que je suis libre. Mais cette transgression ne doit en aucun cas devenir un devoir ou une obligation, car alors, il n'y aurait plus respect de la loi. Et sans respect de la loi, il n'y a pas de  société. Une société de liberté est donc un dosage entre le respect de la loi, et sa transgression.

    Pour ma part, je conclurai en disant qu'il faut ni se lamenter ni se réjouir de l'indignation de la population française contre le pouvoir politique. Je crois qu'il faut réagir à cette indignation, en cherchant un mode de gouvernance apaisant. On voit toute son efficacité dans le pays qui le pratique le plus : la Suisse. La Suisse qui a le taux de manifestation et de grèves le plus bas du monde (20 fois moins qu'en France par habitant), a le chômage le plus faible d'Europe, le niveau et la qualité de vie la plus élevée d'Europe, alors même qu'elle n'a ni déficit budgétaire, ni déficit commercial, ni attentats. C'est ainsi que, lorsque vous sentirez au plus profond de vous la colère monter, parce que une fois de plus, les élus ne prennent pas la bonne décision, n'attendez pas d'être envahi par l'indignation, la sociabilité et la grégarité. Cultivez l'apaisement en vous-même et dans la société et réagissez : "Suissez-vous !".