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syndicalisme

  • Suissez-vous !

    Il y a deux ans environ, je lisais le livre de Stéphane Hessel qui a fait le buzz médiatique : "Indignez-vous!". Ce livre, je n'ai pas pris la peine de l'acheter, mais il m'est tombé dans la main; prêté par une main amie. J'en garde un mauvais souvenir, un certain malaise m'avait envahi à sa lecture, sans que je puisse intellectuellement lui trouver une réponse.

    Depuis deux ans que j'ai lu ce livre, je n'ai pas pris la peine de le relire. Lorsque je l'ai lu, je n'ai pris aucune note. Et je n'ai cherché dans aucun autre livre, d'argument pour trouver une réponse. Je construirais donc mon commentaire sur mes souvenirs de lectures. 

    Qu'ai-je retenu de ce livre, deux ans après l'avoir lu ? Tout d'abord, le malaise que je ressentais lors de sa lecture s'est estompé. Il ne me reste une indignation, une froide indignation. Une indignation qui trouve sa source dans le ton de ce livre. Car de quoi est-il question dans ce livre ? Il s'agit pour son auteur de démontrer en quoi l'indignation que l'on peut éprouver face à l'autorité est bonne, citoyenne, positive. L'auteur du livre fait l'éloge de l'opposition à la loi et au pouvoir politique. Une opposition qui permettrait de construire une meilleur société, une société plus juste, plus humaine.

    Il est bien certain que le droit de manifester, de s'indigner contre le pouvoir, même régulièrement élu, fait partie entièrement et nécessairement d'une société démocratique. Je dirais même qu'on ne peut pas concevoir une société pleinement démocratique qui ne permettrait pas à ses citoyens de manifester contre le pouvoir.

    Lorsque Stéphane Hessel fait l'apologie de l'indignation, que fait-il réellement ? Il dit que la contestation du pouvoir par les citoyens dans une démocratie, n'est pas seulement un mal nécessaire, mais qu'il est un bien. La contestation serait même le carburant d'une bonne société. Elle en serait à la fois le signe et la source. Ainsi le bon citoyen, suivant Hessel, serait celui qui revendique, s'oppose au pouvoir, conteste, exprime son désaccord. 

    Mon premier malaise, c'est de me dire que, puisque je n'éprouve pas, la plupart du temps, le besoin de manifester mon mécontentement, de la partager au milieu d'une foule...je ne suis pas un bon citoyen ! Le propos de monsieur Hessel me culpabilise. Je me dis qu'il me manque quelque chose, à chaque fois que je suis différent et seul à penser mes convictions. Car lorsque je ne suis pas d'accord avec les solutions prises par le pouvoir politique, je ne trouve pas de relais autour de moi, ni dans la société pour me conforter dans mes opinions. De fait, je n'ai trouvé pour l'instant que ce blog, pour exprimer mes idées, mes déceptions, ma colère.

    La manifestation publique et grégaire en occupant les rues avec des revendications souvent idéalistes, irréalistes ou corporatistes  ne m'intéresse pas. Je n'ai pas eu le sentiment, les quelques fois où j'y ai participé, d'accéder à un degré supérieur de citoyenneté. Je n'y ai tout juste trouvé que des propos qui ne résolvent aucun problème, souvent même qui en créent, et surtout qui en invoquant l'avenir avec inquiétude, se posent comme irréprochables et responsables. Ce qu'ils ne sont pas, bien souvent.  

    Toutefois, je ne dirais pas pour autant que manifester contre le pouvoir c'est mal, manifester, c'est parfois un mal nécessaire. Ne serait-ce que pour extérioriser son inquiétude, sa solitude, son incompréhension. Toutefois pour moi, manifester implique plus de responsabilité au niveau moral; et non pas moins. Manifester c'est d'abord le constat d'une impossible concertation. Manifester c'est d'abord pour moi, une violence morale.  C'est souvent prendre en otage les autres citoyens non concernés, ou en plein désaccord avec la manifestation, et leur en faire subir les conséquences. Manifester quand on a un travail pour avoir un meilleur salaire, c'est d'abord nier l'existence de chômeurs qui n'ont pas de travail. Manifester pour maintenir un régime spécifique de retraite; c'est d'abord faire payer aux autres citoyens un avantage qu'ils ne possèdent pas. Malheureusement, la plupart des manifestions sont corporatistes, quand il faudrait réclamer la justice. Manifester c'est souvent demander des subventions, donc faire augmenter les impôts et les charges, sans ce soucier de ceux qui les payent. Il est même fréquent, que ce soient les mêmes qui manifestent pour augmenter les dépenses publiques, qui se plaignent des impôts et taxes excessifs. Faire l'apologie de la manifestation contre le pouvoir comme le fait Stéphane Hessel; je ne crois pas que ce soit la bonne voie pour marcher vers une bonne société. 

    Manifester contre un pouvoir est un mal nécessaire car une élection c'est un chèque en blanc. Les élus, une fois au pouvoir peuvent bien faire ce qu'ils veulent. De plus la façon même dont sont organisées les élections, font que l'on vote pour des personnes ou des partis, avec lesquels on ne partage pas les idées. Il est donc bien évident qu'il faut pouvoir exprimer son indignation à propos de sujet précis de gouvernance. Ce livre en faisant la publicité de l'indignation va au delà d'une simple libération d’énergie citoyenne. Car on peut considérer, à partir de ce livre, que quelqu'un qui ne s'indignerait pas, perdrait de sa valeur, perdrait de sa citoyenneté.

    Je ne le crois pas. Prenons l'exemple de quelqu'un qui s'indigne contre une décision gouvernementale; et supposons que cette décision soit soutenu majoritairement aussi par la population. Que fait la personne qui manifeste ? Manifeste-t-elle contre le pouvoir et ses représentants, ou manifeste-t-elle contre une autre partie de la population ? Une minorité peu, avec juste raison manifester contre l'opinion de la majorité. Mais dans quel cas considérer que cette manifestation sert la société, sert la démocratie, alors même qu'elle s'inscrit contre la majorité ? J'y vois simplement, dans cette indignation systématiquement bonne, le mépris le l'opinion commune. 

    Les lois sont faites pour garantir la liberté de tous. Sans lois il ne peut pas y avoir de liberté, ni ordre, ni sécurité, ni paix, ni prospérité. Les lois sont indispensables. Les respecter est nécessaire au bon fonctionnement d'une société. Bien évidemment un respect trop tatillon est néfaste. Si on devait en toute rigueur appliquer toute la loi tout le temps, je crois bien que rien ne fonctionnerait plus. Il y a bien un équilibre entre respect de la loi et transgression. La transgression même de la loi, est une condition première de la liberté dans une société. C'est bien parce que je peux transgresser la loi que je suis libre. Mais cette transgression ne doit en aucun cas devenir un devoir ou une obligation, car alors, il n'y aurait plus respect de la loi. Et sans respect de la loi, il n'y a pas de société, donc, pas de liberté. Une société de liberté est donc un dosage entre le respect de la loi, et sa transgression.

    Mais si on fait l'apologie de l'indignation, y-a-t-il encore transgression ? Si on fait l'apologie de l'indignation contre la loi du pouvoir, on fait par là même, l'apologie de la transgression à la loi; donc on perd en liberté. L'indignation n'est source de liberté que si on n'en fait pas l'apologie.

    Je crois pour ma part que l'indignation est à combattre. Il s'agit de la faire reculer. Non pas en sanctionnant les individus indignés, mais en proposant un fonctionnement différent du mode d'exercice du pouvoir actuel. Car l'indignation est aussi le signe d'un mauvais fonctionnement démocratique.

    Pour ma part, je conclurai en disant qu'il faut ni se lamenter ni se réjouir de l'indignation que la population française peut exprimer contre le pouvoir politique. Je crois qu'il faut réagir à cette indignation, en cherchant à la faire baisser, en cherchant un mode de gouvernance apaisant.

    On voit toute son efficacité dans le pays qui le pratique le plus : la Suisse. La Suisse qui a le taux de manifestation et de grèves le plus bas du monde (20 fois moins qu'en France par habitant), a le chômage le plus faible d'Europe, le niveau et la qualité de vie la plus élevée d'Europe, alors même qu'elle n'a ni déficit budgétaire, ni déficit commercial, ni attentats.

    C'est ainsi que, lorsque vous sentirez au plus profond de vous la colère monter, parce que une fois de plus, les élus ne prennent pas la bonne décision, n'attendez pas d'être envahi par l'indignation, la sociabilité et la grégarité. Cultivez l'apaisement en vous-même et dans la société et réagissez : "Suissez-vous !".

  • Le pouvoir et l'autorité

    Il est important de distinguer le pouvoir et l'autorité, car ces deux notions sont complémentaires. Ces notions sont fascinantes, car elles conditionnent grandement les relations entre les individus au sein d'une société ou d'une communauté d'individus. Le pouvoir sans l'autorité n'est que violence, et le pouvoir plus la violence fait la tyrannie. 

    Le pouvoir est l'action qu'on peut exiger en contrepartie d'une récompense, ou d'une sanction. Dans une entreprise, le plus souvent, les pénalité comme les récompenses sont financières. Le pouvoir suscite la crainte ou la convoitise.

    L'autorité c'est la faculté de demander à quelqu'un un service, sans que celui qui l'effectue ne soit puni ou récompensé. Dans l'autorité il n'y a pas de menace ou d'intérêt. L'autorité sollicite le consentement, l'adhésion, le geste gratuit, la morale. L'autorité est donc juste et elle implique sentiments et croyances. 

    L'entreprise dans laquelle je travaille, change, le management aussi. Sous prétexte d'efficacité, d'adaptation, un nouveau discours est apparu, une nouvelle attitude managériale, une nouvelle culture est apparue. 

    L'activité syndicale que j'ai mené ces trois dernières années, m'a amené à côtoyer de près les chefs de centres qui se sont succédés dans l'établissement, j'ai écouté attentivement les discours servis à mes collègues facteurs comme moi.

    Bien souvent, le discours de la direction est culpabilisant, humiliant ou rabaissant, déshumanisant. Jusqu'à il y a quelques années, l'attitude d'un chef de centre au niveau managériale était neutre, il se contentait de nous présenter les attentes de la direction départementale ou nationale, puis les syndicats prenaient la parole, argumentaient, sans que la direction ne répondent. En cas de grève, les chefs de centre attendaient que les facteurs arrêtent la grève, ou que la direction départementale cède aux revendications. Les chefs de centre ne disposaient ni du pouvoir qui appartenait à l'état, ni de l'autorité qui appartenait aux syndicats.

    Aujourd'hui les choses ont bien changés. Le chef de centre peut sélectionner, titulariser, promouvoir les personnes de son choix. Il a acquis du pouvoir. La direction départementale et nationale aussi, c'est maintenant elle qui détermine les choix économiques de l'entreprise, pas l'état. IL y a eu un transfert important de pouvoir, des hommes politiques et de la loi, aux cadres de l'entreprise. Mais le pouvoir ne leur suffisant pas, ces cadres cherchent maintenant à obtenir de l'autorité.

    Les chefs de centres prennent régulièrement la parole, nous demandant de nous réunir pour les écouter. Ils avancent des arguments pour informer, mais aussi pour convaincre du bien fondé des changements qu'ils souhaitent mettre en œuvre. Avec face à eux des syndicats qui prononcent des discours délirants et irresponsables, ils ont vite fait de prendre l'ascendant moral sur les facteurs. Ainsi, disposant tout à la fois du pouvoir et de l'autorité, j'ai vu des chefs faire et dire n'importe quoi. Devant ces excès, j'ai décidé il y a trois ans de réagir, de prendre la parole devant les collègues, tout comme le font les syndicats ou les chefs de centre.

    Comme je tiens un discours réaliste et crédible, j'ai impressionné les collègues, mais surtout je leur ai donné confiance, je leur ai proposé des actions, dans lesquels ils pouvaient prendre leur responsabilité pour eux, au lieu de l'abandonner aux syndicats ou à la direction. Ainsi sans grève ni dysfonctionnement majeur, on a mené une action syndicale efficace. Les collègues ont refusé de faire des heures supplémentaires non rémunérées, suite à la trahison de la direction et des syndicats, qui ont refusé d'un commun accord de mettre en place la négociation qu'ils avaient signé. 

    C'était il y a un an. Depuis, trois chefs de centre se sont succédés, la direction départementale cherchant visiblement à reprendre le bureau en main. Les deux premiers tenaient habillement le discours culpabilisant pour les facteur, de la direction. Mais j'ai montré à mes collègues facteurs, toutes les failles, les manquements, les insuffisances et les mensonges qui accompagnaient ces discours.

    Voyant cela, la direction a dépêché un troisième chef de centre, en multipliant par deux le nombre de ses collaborateur. De plus ce dernier a sélectionné les collaborateur de son choix; ce qui ne s'était encore jamais produit dans l'établissement. Au lieu de mettre en œuvre, l'accord que la direction avait elle même signée, et qui était moins coûteux financièrement; ils ont préférer la réponse autoritaire. Les quelques postes de facteurs remplaçants qui manquaient pour que les collègues puissent poser leur congé sans difficultés coûtaient moins chers que les cadres supplémentaires embauchés. L'égalisation des tournées, en prenant en compte le temps réel de travail effectué par les facteurs ne demandait aucun budget ni autorisation pour être mis en œuvre, pourtant ça n'a pas non plus été mis en place.

    Ce nouveaux chef, flanqués de plus de collaborateurs plus agressifs, communiquait mieux. Mais ce n'était toutefois pas suffisant. Alors que faire ? Moi de mon coté, j'avais réduit mes prétentions syndicales à une seule revendication qui ne coûtait pas d'argent(égalisation des quartiers par le temps de travail). Cette revendication était facile à satisfaire, elle pouvait être mise en place rapidement, gratuitement et avec efficacité. Je proposais en contrepartie ma coopération au chef de centre pour qu'il puisse faire la réorganisation qu'il souhaitait, avec suppression d'emploi. Mais il a refusé. Il avait décidé qu'il n'y avait rien à négocier, ni rien à changer dans son management. Pour ce faire il avait même l'accord des deux syndicats qui sont venus à ses réunions.

    Mais comme j'étais toujours contre ses méthodes, je suis devenu encombrant pour lui. Je disposais d'une forme d'autorité par la confiance que j'inspirais à mes collègues, et le chef de centre refusait toutes mes demandes. Lorsque j'ai pris la parole publiquement pour parler des problèmes que posait sa façon de diriger la réorganisation qu'il préparait, j'ai été interrompu par trois collègues. L'un deux a tenu des propos et une attitude particulièrement hostile et menaçant à mon égard. A la suite de leur intervention, le chef de centre vient me voir pour critiquer mon discours. Aucun des deux chefs de centres qui s'étaient succédé ne s'étaient permis de me faire une remarque. C'est un comportement qui visait à m'intimider. Les collègues qui m'on empêché de faire mon discours n'ont pas été sanctionnés, pourtant ils n'ont pas respecté le droit syndicale, la liberté syndicale, qui permet à un adhérant de se prononcer sur les problèmes syndicaux de l'entreprise. Non  seulement ces collègues n'ont pas été inquiété par le chef de centre, celui qui avait été jusque dans l'agressivité physique à mon égard a été récompensé d'une promotion, dès le surlendemain.

    Le problème du chef de centre n'est pas comme il le prétend de faire une réorganisation pour améliorer l'efficacité de l'entreprise, puisque je lui proposais mon aide pour la faire plus facilement, mais un problème d'autorité : il ne souffre aucune contradiction de la part d'un facteur. Et s'il lui faut pour cela piétiner la loi sur la liberté syndicale, il n'a eu aucun scrupule à le faire.

    Echaudé par cet échauffourée, je ne prends plus sur mon initiative la parole publiquement, mais je profite des réunions organisées par le chef de centrer pour continuer d'affirmer et d'affiner ma position. Le résultat n'a pas tardé, la direction départementale m'a supprimée une journée de salaire prétextant que j'avais fait grève alors que ce n'était pas le cas. Le chef d'équipe en refusant de m'octroyer mes congés, me fait perdre une semaine de vacances. Les collègues indifférents n'ont rien fait, pas plus que les syndicats.

    Comme je suis un peu fatigué de faire du syndicalisme sans ou contre les syndicats et que je vais être bientôt muté dans une autre ville, je m'en fiche un peu. Je crains que le harcèlement moral dont je fais l'objet au bureau, ne devienne une réalité banale.

  • stage syndical

    Dans le but d'être plus actif au niveau syndical, je m'inscris à  un stage syndical. C'était, il y a presque un an; j'étais enthousiaste pour l'activité syndicale et je voulais faire cette formation rapidement, pour me permettre d'acquérir plus de compétence. Depuis, le temps a passé, mon enthousiasme est retombé. Néanmoins, une fois que je reçois enfin cette convocation; même si il est trop tard, et après hésitation; je décide de m'y rendre. L'intitulé de la formation est : négociation.

    Pour débuter, chacun des participants présent est invité à dire son attente et son vécu. Plusieurs en viennent à dire qu'ils négocient avec leur conjoint ou bien leur enfant adolescent; d'autres constatent qu'ils n'ont jamais négocié à la Poste, même s'ils ont participé à des réunions de concertation avec syndicats et direction. Moi aussi, bien qu'ayant participé à plusieurs réunion ou confrontation, entre syndicat et direction, je n'ai pas eu le sentiment qu'il y ait eu négociation. En effet, ou mes demandes sont refusées, ou bien après une promesse de la direction avec signature d'un accord; aucun effet n'en résulte; sauf ce qu'avait prévu la direction.

    Les deux mots que j'entends souvent lors du stage; c'est "acteur" et "négocier". Je comprends donc que le métier de syndicaliste est un intermédiaire, entre le métier d'intermittent du spectacle, et celui de commerçant. Pourquoi ce vocabulaire ? Le malaise est là, il n'est pas seulement dans le vocabulaire, mais aussi dans les esprits ; la fréquentation des réunions syndicales, me l'a fait rencontrer à plusieurs reprises.

    Il est un mot important dans l'action syndicale; c'est ce qu'on nomme : le collectif. Par là, on signifie, qu'un groupe d'individus, n'est pas seulement une collection hétéroclite d'individus, qui se côtoient dans l'indifférence et qui ont des intérêts, des opinions et des sensibilités différentes. Un collectif c'est un groupe qui partage un même but; capable de désigner des représentants, et porter des revendications.

    Cette opération qui donne à un groupe un même objectif est la structuration. Comment structurer un groupe ? Voilà une question bien intéressante quand on veut faire du syndicalisme, plus qu'un passe temps ou une activité accidentelle. Car il ne peut y avoir action syndicale, sans groupe structuré, sans collectif. Le formateur propose cette définition que je trouve insupportable et tout à fait erronée :" Dans l'action syndicale; il faut préciser les revendications, qui sont nécessaires pour structurer un collectif".

    Voilà donc que la formation d'un collectif dépendrait de l'énonciation d'une revendication. Le propre de l'activité syndicale consisterait à poser des revendications. Il suffit donc d'être un peu inspiré, faire jouer son imagination, se laisser aller, ou délirer...et le tour est joué ! Avec un déroulement de l'action entre la scène de théâtre, et l'épicerie. Je suis atterré d'entendre de tels propos. J'ai rencontré tant de fois ce discours chez d'autres syndicalistes qu'il ne m'étonne plus : c'est une norme sociale. Le syndicaliste français ne pense pas; ils se contente de ressembler aux autres syndicalistes. Mais je ne peux m'empêcher de dire ma conviction et mon agacement au formateur : "aucune revendication n'a jamais structuré un collectif; et porter une revendication ne définit pas le syndicalisme !".

    Il est bien évident, que c'est l'inverse qui se passe : c'est parce que un collectif est structuré qu'il peut porter une revendication. La revendication ne sera acceptée que si un ensemble de valeurs est partagé par chacun dans le groupe. Je précise donc au formateur que le liens entre les individus qui va permettre la structuration du groupe, c'est l'ensemble des valeurs que tous les individus du groupe partagent; ou tout au moins, d'une large majorité; et qui fait qu'au delà des différences d'opinion et de sensibilité, on peut s'exprimer, s'écouter les uns les autres...et arriver à se mettre d'accord sur des revendications ! Le travail syndical est donc de faire émerger, au sein d'un groupe d'individus; la, ou les valeurs, que chaque membre du groupe peut partager. Et ce n'est pas facile. Je corrige donc les formateurs par ma remarque qu'ils ne comprennent pas. 

    Plus tard pendant le stage, les formateurs disent ce que j'ai déjà entendu malheureusement de nombreuses fois en d'autres occasions, propos qui confirme le fossé(entre moi et les formateurs, mais aussi entre les employés et les syndicats), et qui me scandalise : "il faut, lorsqu'on fait du syndicalisme, et pour se faire comprendre des collègues, répéter inlassablement les valeurs du syndicat" ! 

    Ce n'est pas aux travailleurs à adopter les valeurs du syndicat pour mener une action syndicale; c'est au syndicat d'adopter les valeurs des travailleurs pour créer une action syndicale. Ce syndicalisme français qui en pensant et agissant ainsi, se rend détestable auprès de la majorité des travailleurs. Un syndicalisme qui n'inspire pas confiance, qui agite les esprit au lieu de conforter les individus. Un syndicalisme qui divise au lieu d'unir, qui agite au lieu de calmer, qui agace au lieu d'apaiser, qui agresse au lieu de conforter, qui gène au lieu d'aider, qui isole au lieu de réunir. Un syndicalisme qui abandonne au lieu de partager, qui freine au lieu d'avancer, qui effraye au lieu de rassurer, qui fatigue au lieu de motiver.

    Une négociation doit être abordée avec des objectifs; déclare avec conviction le formateur. Il donne alors des conseils pour définir  et atteindre ces objectifs. Pour ma part, avoir un objectif, il me semble bien évident, que c'est exprimer une qualité humaine, qui s'appelle : ambition. L'objectif par le chiffre qu'il impose, enlève du sens, déshumanise, installe la compétition. La compétition, motive les passionnés, les meilleurs ou les arrivistes, elle démotive les autres. Pour ma part, il me semble évident  que l'ambition est une qualité incompatible avec l'activité syndicale. Ce qu'il faut pour agir syndicalement, ce n'est pas de la sociabilité et de l'ambition; c'est de la participation, de la compréhension. Pour le formateur comme pour les autres syndicalistes , le repère qu'ils utilisent pour faire du syndicalisme, est, non pas le sens, mais la norme : pas de salut en dehors de la sociabilité.

    La sociabilité qui outre cette propriété si confortable de débrancher le cerveau et d'installer la norme comme unique boussole, produit une émotion : la peur d'être seul. A moins que ce ne soit l'inverse : la peur spontanément éprouvée qui produit la sociabilité. La recherche permanente de sens qui m'occupe a une autre source; celle de la peur de la folie, de ce qui est insensé. La peur de la solitude qui amène a rechercher la norme, amène trop facilement à la grégarité, à l'hallucination collective, à la folie collective. La norme est un repère intéressant qu'il faut manipuler avec prudence, ce que ne font pas les syndicats et les dirigeants de la poste qui; les uns comme les autres se réfèrent aux normes du groupe duquel ils se sentent solidaires.

    Pour structurer le travail des facteurs, la Poste utilise une méthode. J'en parle un peu au formateur; il connaît bien la Poste. La méthode de réorganisation  de la Poste est fondée sur l'organisation scientifique du travail. L'organisation scientifique du travail, est une méthode inventée par Willems Frédérik Taylor, un ingénieur américain de la fin du dix neuvième siècle et du début du vingtième. C'est un type d'organisation rigide qui désigne à chacun par le menu détail, les tâches qu'il doit accomplir et le temps dont il dispose pour les accomplir. Ce système met effectivement l'individu sous un régime de paiement qu'on appelle :"à la tâche'', même si légalement on est payé de l'heure.

     Donc des individus de la direction viennent de temps à autre faire des "comptages", c'est à dire, qu'il comptent sur les quartiers, le nombre de lettres distribuées par chaque facteur, le nombre de boîtes aux lettres, les distances parcourues par le facteurs. Puis par un logiciel, ils en déduisent le temps de tournée. Cette méthode ne permet pas d'évaluer précisément la quantité de travail. En effet, elle ne tient pas compte de la pente des trottoirs, de leur largeurs, de leur revêtements, de leur encombrement, de l'état des boites aux lettres. N'est pas compté le temps perdu lorsqu'il neige ou qu'il fait du verglas, lorsque le courrier nous arrive en retard du centre de tri, le temps perdu lorsqu'on nous donne les recommandés en retard n'est pas compté, le temps consacré aux réunion non plus, si il y des travaux sur notre tournée, ce n'est pas compté non plus, etc... La direction ne l'applique pas de façon rigoureuse, car il faudrait plusieurs personnes différentes, qui viennent à des jours différents pour faire ces comptages. En effet les individus qui font ce comptage ne sont pas toujours sérieux, et la quantité de courrier varie beaucoup d'un jours à l'autre; de ce fait la direction ne cerne pas avec précision la quantité réelle de travail que produit le facteur.  Cette méthode n'est pas lisible, une fois le comptage fait; on ne peut pas la contester, on se retrouve avec le nombre de rue que la direction a décidé. Cette méthode que la direction présente comme sûr, fiable, précise, incontestable et que les syndicats cautionnent, n'est rien de tout ça dans la réalité.

    Lorsqu'on est titulaire d'un quartier, après une réorganisation, on se retrouve, lorsqu'on est facteur, avec une quantité de travail en moins ou en plus, sans qu'on puisse opposer une quelconque réclamation, puisque lorsqu'on s'adresse à un syndicat quelconque, ils répondent qu'ils n'ont pas le temps de refaire un comptage contradictoire avec un agent de la direction. Lorsqu'on a trop de travail, et qu'on réclame aux syndicats le paiement des heures supplémentaires, ceux-ci refusent de faire quoi que ce soit, puisque la méthode est "scientifique" pour eux; et la direction nous répond qu'on travaille trop lentement, puisque la méthode d'organisation est infaillible. Ce système injuste n'est même pas cohérent. En effet, personne n'a été sélectionné ni titularisé pour travailler à une vitesse standard, que la direction est d'ailleurs, incapable d'évaluer avec précision. Ainsi dans le bureau où je travaille, on est tous sensé finir notre travail à 13 heures; de fait pendant que certains finissent à 11 heures, d'autres finissent à 15 heures.

    Le paiement à la tâche est interdit dans la plupart des entreprises en France et dans le monde. Elle ne se pratique que dans le travail à la chaîne, dans les pays sous-développés et à la Poste. L'organisation scientifique du travail est peu efficace économiquement sauf dans le travail à la chaîne. Ce qu'elle produit surtout, c'est de l'autorité pour les dirigeants qui l'utilisent. Pour les employés qui la subissent, c'est dur psychologiquement et physiquement, elle produit absentéisme, maladie, démobilisation et grèves. Au niveau de la production, l'organisation scientifique du travail produit, surtout si elle n'est pas appliqué rigoureusement(ce qui est le cas à Laposte) une faible qualité de service, et la perte de confiance de ses employés et de ses clients.

    Brièvement, je demande au formateur pourquoi les syndicats s'obstinent à défendre cette méthode de travail, alors qu'il est possible de faire autrement. Car il est important que chaque facteur puisse travailler à la vitesse qui lui est propre. Aucune formation n'est dispensé dans l'entreprise pour améliorer la vitesse de travail, aucune évaluation de la vitesse de travail du facteur n'est faite par la direction, aucun reclassement ou reconversion n'est proposé à un facteur qui pourrait être identifié comme lent. Pour ma part, je dépasse mon temps de travail d'une centaine d'heure par an, ce nombre est en augmentation; c'est un travail qui n'est pas rémunéré ou compensé par des congés. Si je vais me plaindre à n'importe quel syndicat, il me répondra qu'il ne peut rien faire; si je vais voir la direction, elle me répond que je ne travaille pas assez vite. Il en est de même pour de nombreux collègues dans mon cas. 

    J'aime à penser qu'un individu tient dans le degré d'harmonie entre son corps et son esprit. Lorsque je n'arrive pas à faire mon travail dans les temps, je m'entends dire par la direction que je suis trop lent, ainsi ai-je le choix : ou bien je dépasse mon temps de travail et je me malmène mon esprit en me disant que je suis trop lent, et donc que je ne suis pas un bon facteur; ou bien je travail plus vite, et je malmène mon corps, qui répond par des tendinites et de la douleur. Dans les deux cas, l'harmonie entre mon corps et mon esprit n'est plus. C'est une démarche déstructurante pour moi.

    Le formateur me répond en disant que je suis trop technique. Par là, il veut dire que ce qu'il faut réclamer, d'un point de vu syndicale, c'est des emplois. Or réclamer des emplois, c'est faire de la politique industrielle, pas du syndicalisme. Pour le formateur, comme pour les autres permanents syndicaux, faire du syndicalisme, c'est d'abord empêcher l'entreprise de faire des profits, d'être compétitive. Et s'il faut sacrifier les facteurs pour ça, ils n'hésitent pas à le faire. Ils le font si bien que lorsque Laposte doit fermer un bureau surnuméraire, ils s'opposent fermement à ce que les facteurs touchent la moindre indemnité, pour déménager, pour se former à un autre métier, ou pour quitter l'entreprise. En effet, ce serait pour les syndicats, aider l'entreprise à gagner de l'argent. Ils poussent donc les facteurs à faire grève; et le résultat c'est que : après de longues grèves, les employés doivent changer de bureau sans indemnité de déplacement ou de déménagement, changer parfois de qualification sans formation. Ils se sentent trahis par les syndicats, et ne leur font pas confiance; deviennent aigris, déprimés, et abusent lorsqu'ils le peuvent de congés maladie.

    Me voilà réduit, au milieu même d'un syndicat, à chercher un syndicaliste, sans succès. De cette situation triste et ridicule, je ne me limiterai pas à m'en désoler. Dénoncer cette situation, la décrire, la partager, ce sera peut-être un échec, mais c'est déjà m'en libérer un peu.